Le dernier des Mohicans. Daniel Agnellet,
60 ans, gère l’entreprise familiale avec son frère Philippe, est le tout dernier scieur de bois de la vallée de Thônes. Une à une, les très nombreuses scieries qui se trouvaient sur ce territoire jalonné de forêts ont toutes fermé, au fil des décennies. Le tout dans un contexte de forte concurrence mondiale où ces petites structures rustiques ne pouvaient pas faire le poids.

"Il va finir sa vie à la scierie"

Il n’a pas l’air d’en faire une histoire : au rythme où vont les choses, il sait bien qu’un jour, l’entreprise créée par son père Constant en 1961 connaîtra peut-être le même sort. "Il faudrait vraiment être motivé pour reprendre après nous. Il faut pas être feignant !", met en garde l’intéressé. On comprend la problématique : l’entreprise est encore viable, aujourd’hui, mais à condition d’y consacrer sa vie. Un métier de passionné où on n’ose même pas compter ses heures. Sa femme Hélène, qui gère l’administratif et la comptabilité, le corrige : il faut y croire, et pourquoi pas une société gérée à l’avenir par "plusieurs dirigeants", pour se répartir le labeur ?

Quoi qu’il en soit, Daniel Agnellet a beau avoir atteint cette année les 60 ans, la retraite ne paraît encore pour lui qu’un lointain concept. L’odeur du bois, les grumes, la sciure, il a "grandi dedans", reprenant le flambeau familial en 1987, à une époque où "il fallait travailler". Il rectifie : certes, il a saisi à l’époque " l’opportunité" de prendre la succession du père, mais sans passion, il n’aurait "pas continué". Pas aussi longtemps. Aujourd’hui, son épouse va plus loin : elle pense qu’il est tellement passionné par son travail "qu'il va finir sa vie à la scierie", incapable de lâcher le métier, tant que son corps lui permettra.

Même si son avenir est incertain, l’entreprise affiche pourtant une bonne santé financière, à ce jour. Elle a trouvé "depuis cinq ou six ans" une nouvelle jeunesse, en misant sur le tavaillon en mélèze, sorte de tuile en bois qui recouvrait la plupart des toits du secteur, les siècles passés. Le produit revient en force dans le paysage, poussé par l’appétit des consommateurs pour le local et le charme des techniques anciennes, de celles qui ont fait leurs preuves. En 2020, la scierie Agnellet en a fabriqué d’importants volumes de tavaillons, pour plus de 15 000 mètres carrés de toiture. L’équivalent de deux terrains de football !

Même s’il est parfois "difficile de trouver du bois", dans un marché mondial très tendu, la scierie Agnellet continue sa route. Avec une grande part de bois locaux,
de grosses pièces d’épicéa pour les charpentes, et des clients fidèles, partout en France. La scierie Agnellet n’a pas dit son dernier mot.

                                                          Article Essor Savoyard Jeudi 26 Août 2021